Certains le disent plat, gris et terne. C’est qu’ils n’y sont jamais allés, ou qu’en sortant du ferry en provenance de la perfide Albion, un soir pluvieux de novembre, ils ont filé sur la capitale en roulant sur l’autoroute tous feux allumés. Car rien de terne, rien de gris et moins encore de plat dans ce pays de cocagne béni par Déméter et Poséidon, si loin fût-il des rivages de la mer Egée.

Ici le vert le dispute au bleu, prenant le jaune et l’ocre à témoin, et, pour peu que le soleil se mette de la partie, cette jolie bataille se répand sur des collines ondoyantes dont  les falaises d’albâtres se chargent d’arrêter les ardeurs.

Pour être tout à fait franc, je n’avais pas arrêté mes projets exactement sur Wimereux, mais chemin faisant l’idée de monter dans ch’nord s’est imposée, à la découverte d’un superbe petit château en Artois.. D’Arras à Boulogne en quelques tours de moteur diesel, j’ai donc pris la décision de montrer ma frimousse à une partie des pilotes de la liste, dont je ne connaissais que le verbe, parfois  haut d’ailleurs. Le château d’Olhain dans la boîte à image, à l’issue d’un vol pour le moins tourmenté, je prends donc mon bourdon de pèlerin pour me retrouver comme une fleur en plein milieu d’un champ peuplé ,de véhicules de toute sorte et de gens qui semblent attendre un évènement exceptionnel, genre de Woodstock où les mélodies mécaniques auraient remplacé Janis Joplin et Joe Cocker.

Pour l’heure personne n’est réellement en l’air car le petit zéphyr occidental aurait vite fait de scotcher tout ce petit monde quelques mètres à la verticale du terrain. La décision est vite prise d’aller plutôt se jeter de la falaise pour faire de la balançoire aérienne sans moteur entre les deux petits kilomètres qui séparent Boulogne de Wimereux. Je vais donc me laisser bercer au gré du flux marin pendant une bonne heure, en compagnie de quelques courageux, dont Ludovic Migneaux et surtout des goélands dont on entendrait presque les ricanements sarcastiques, se gaussant de nos grands oiseaux patauds, ridicules, de couleurs souvent vives, si le vent ne couvrait leur jugement hautain.

Quelques rapaces motorisés viennent me saluer mais leur progression est bien laborieuse. Ce soaring providentiel était bien la meilleures chose à faire en cette fin de journée ensoleillée.

 

Samedi 6h30, ou 7h, ou peut être même 7h30

La mélodie harmonieuse du groupe électrogène du barnum principal, que j’ai eu l’idée lumineuse de côtoyer à moins de 10 m pour installer mon bivouac, se mêle avec délice à la douce mélopée du moteur qui virevolte au dessus de la tente de toit dans laquelle je suis douillettement calfeutré.

Aurais-je raté, un épisode. En ouvrant mon confortable cocon, je crois halluciner, il est en fait 8h et l’ambiance est londonienne. On n’y voit pas à vingt mètres et pourtant quelques courageux descendants de Lindbergh tentent dès potron-minet de percer la couche brumeuse pour se rapprocher du soleil.

Je n’ai pas le tempérament du pionnier ce matin. Je me recouche !!!

Vers 10h 30, l’aire de décollage grouille de gens habillés de couleurs chatoyantes, gesticulant comme des maquignons un dimanche à la foire aux bestiaux. Le spectacle est là !  Ca décolle dans tous les sens et les malheureux commissaires de piste ne savent plus où donner de la tête. Quand à moi, je trainaille… puis je me décide.

Matériel monté en deux temps, trois mouvements je suis prêt à décoller.. En tout cas à tenter de décoller car depuis quelques temps, le secret de cette phase merveilleuse et indispensable de notre fabuleuse activité à tendance à m’échapper.

Encore cette très légère surcharge pondérale me direz-vous !. Que nenni. Jean Yves me fera judicieusement remarquer un peu plus tard dans la journée que je manque d’énergie au décollage. En d’autres termes, c’est plutôt à ma nonchalance méditerranéenne que je dois le rallongement de la distance de décollage. Peut être cela vient-il de ma branche charentaise mais la branche arverne, elle, fière et conquérante doit se retourner sous son dolmen. Maniant le geste à la parole, il me sanglera dans la sellette comme un morceau de Coppa. Le miracle n’est pas vraiment au rendez-vous mais il est vrai que je suis en bonne voie. Encore faut-il que mes jambes et ma tête accordent leurs violons…

Ce fut, une fois de plus, laborieux mais l’air salvateur du large me donne le petit coup de pouce pour voir Boulogne d’un peu plus haut. L’odyssée peut commencer.

Cap au sud ouest, où j’ai rendez vous avec l’Histoire. C’est en effet à quelques kilomètres de là que les soldats de la Grande armée ont érigé un bâton de maréchal titanesque en l’honneur du petit caporal corse. A l’automne 1805 ce gentil organisateur de grandes randonnées pédestres leur a bénévolement offert quelques semaines de vacances, genre camp scout, face à la mer, en attendant hypothétiquement de faire une petite excursion dans la grande île d’en face. En échange, et sans doute pour tromper leur ennui, les quelques 60 000 braves ont eu l’idée de remercier le « grand homme » en projetant de lui faire bâtir, sur leurs propres deniers, un monument dont la taille est inversement proportionnelle à ce que la nature lui aurait semble-t-il accordé… Avant de faire volte face et de crapahuter 1100 km vers l’Est pour aller faire griller des marshmallows au pied du plateau de Pratzen, en actuelle Tchéquie, dans un obscur petit village du nom d’Austerlitz… Quand à la colonne, il lui faudra attendre 36 ans pour être achevée.

Cette colonne là, on ne peut pas la rater, et même si le vent perturbe un peu le protocole je m’efforce de m’aligner le long de l’allée majestueuse dans l’axe du monument pour faire un petit salut à l’empereur et immortaliser ce moment. Je réitère mes salutations mais mes circonvolutions de moucheron motorisé le laissent de bronze. Pas un sourire, la main dans son giron, dos à la mer, il ne me gratifie pas même d’un regard. Je vais traîner mon barda ailleurs.

La banlieue nord de Boulogne parait plutôt populaire. Pourtant, à quelques encablures vers le Nord Est le nombre de demeures bourgeoises ou nobles est tel qu’on pourrait croire que toute la jet-set du premier empire s’est passé le mot pour nicher sur la côte d’opale. On imagine facilement les grandes familles aisées et leurs trains d’équipage venir s’installer en villégiature estivale dans leurs terres bien à l’abri des assauts du vent et de la rumeur populeuse et des vociférations de la criée du grand port de pêche pourtant si proche. Dans le même ,temps leurs gens sont en pleine fauchaison ou en train de pousser des wagonnets dans la mine.

Malheureusement, des touristes d’un autre genre ont aussi laissé quelques traces dans la région par le biais d’un programme immobilier ambitieux mais un peu austère malgré la vue imprenable sur la mer de la plupart d’entre eux. De Jules César jusqu’au milieu du siècle dernier, la guerre a profondément et durablement marqué ce territoire. Ce n’est pas le fort d’Ambleteuse, massif et monolithique qui contredira le propos. Construit au XVIe siècle par Henry VIII, l’homme qui aimait tant les femmes qu’il en consomma 6, non sans avoir pris la peine d’en séparer quelques unes en deux morceaux, en particulier celles qui avaient eu le tort de ne pas d’assurer son lignage, cet ouvrage était censé dissuader les papistes de tout bord de venir menacer la route de la laine si chère aux intérêts de la City. Posté à l’embouchure d’un minuscule fleuve côtier, le fort Mahon monte encore fièrement la garde au milieu des baigneurs, des promeneurs et des pêcheurs dont les embarcations sont moto tractées à marée basse. Il est vrai que dans ces mers septentrionales, un bon pêcheur est un marathonien, tant il faut parcourir de distance pour accéder au rivage.

Car les Boulonnais sont bel et bien de grands pêcheurs devant l’Eternel. A pieds, en zodiac et parfois même… à vélo, en cette magnifique après midi de mai, de Boulogne à Audreselles, les plages sont peuplées d’une foule bigarrée armée de couteaux de plongée, de seaux, de filets et de cagettes en plastique, pour dénicher les succulents fruits de cette mer qui finiront inéluctablement sur un lit de glace cerclé de quartiers de citron.

Le niveau du réservoir de mon superbe engin jaune donnant des signes de faiblesse, il me faut donc songer à retourner sur la base où le clapotis des glaçons tournoyant joyeusement dans les verres doit déjà remplacer ce lui des pistons vrombissant. Le premier acte touche à sa fin.

Le second acte de cette belle journée ne débutera qu’en fin d’après midi, après un petit détour sur la falaise-parapente, sans grand succès d’ailleurs à cause d’un petit vent capricieux faiblissant avec la marée montante et l’étale.

 

17h40

Après s’être renforcé en début d’après midi, le vent s’est un peu calmé. Il est temps d’aller faire une petite excursion aux caps. La marée est haute. Le promeneur se fait plus rare. Le pêcheur à pied doit préparer le fruit de sa rapine et mettre le petit vin blanc complice au frais. C’est l’heure à laquelle sortent les escadrilles de moustiques motorisés. Pour l’heure, elles ne craignent plus le feu des monstrueuses batteries du mur de l’Atlantique, postées à quelques centaines de mètres du rivage, en plein milieu des champs d’orges ou de betteraves, offertes presque gracieusement à un autre petit caporal, autrichien celui là, par un certain Fritz Todt, bienfaiteur de l’humanité… aryenne. Décidément cette terre est bien une terre à colonnes

Vu du ciel, le plus imposant de ces gros pâtés de béton armé posé sur cette bonne terre de Flandre ressemble en effet étrangement à la base d’un château de sable qu’un poupon gargantuesque aurait posé avec son seau, avant d’aller faire trempette d’une seule enjambée au beau milieu du Channel. Le détail qui brise cette charmante vision enfantine réside dans le long tube d’acier qui repose placidement sur un côté de l’ouvrage. le joujou mesure environ 25 m de long et pouvait projeter des petits cadeaux de 280 mm de diamètre à près de 80 km de distance. De quoi rappeler aux Grands Bretons que leurs cousins germains faisaient la fête sur le continent avant de tenter d’exporter à leur tour les méthodes d’organisation qui avaient fait leur immense succès, de l’autre côté de la Manche.

Il est vrai que l’histoire et les hommes nous l’ont un peu abîmée cette côte d’Opale, mais par Toutatis, par Thor et par Jupiter qu’elle reste belle cette autoroute du passé.

Je laisse le cap gris nez à ma gauche pour aller directement sur le blanc nez. A 400 m, la vue est superbe. Sur la gauche Calais commence à dévoiler sa dentelle urbaine (heureusement qu’on n’est pas à Cambrai… en vol ça pourrait avoir de néfastes conséquences…). Francis Blot, parapentiste émérite de la Marne, où, si ma mémoire est bonne, nos voisins outre-rhénans avaient déjà fait une petite halte dans les années 10 du siècle dernier, rentre en biplace vers Wimereux. Allant à sa rencontre à 75 km/h , si je ne fais pas demi tour, la rentrée risque d’être particulièrement laborieuse et l’aboutissement hasardeux. Effectivement il me croise à la vitesse d’un bolide. La seule solution pour ne pas être en retard à la soupe est de descendre au ras du sol. Là, le gradient de vent fait une partie du travail à ma place et je reprends du poil de la bête, même s’il faut d’avantage être aux commandes qu’en altitude. Un petit passage sur le Mont de couple, peuplé comme toutes les hauteurs de la région de lego en béton armé. Je reprends du terrain sur Francis qui file droit sur le la base tandis que je décide de bifurquer vers l’Ouest pour rendre les hommages du soir au fort d’Ambleteuse, avant de jouer sur la plage avec les derniers rayons de soleil. Un cavalier nautique juché sur un jet-ski dessine des figures géométriques éphémères sur la Manche. La horde de paramoteurs qui remontait tout à l’heure vers le Nord poussent désormais vers le sud comme une file de vacanciers s’agglutinant au péage de St Arnoult, mais avec plus de peine.

Le terrain est en vue, je grimpe à 500m pour couper le moteur et gouter avec délice les dernières minutes de ce vol iodé.

 

Et, comme toutes les aventures hexagonales, comme chacun sait, finissent par un festin, et que le terrain de Wiremeux fait, ce jour là, figure de petit village gaulois, un apéritif suivi d’ un repas pantagruélique à la hauteur de nos espérances vient couronner cette soirée. Le Max a bien fait les choses. Souper grand siècle incarné dans un magnifique plateau de fruit de mer. Vers la fin du repas, quelques taquins, que je ne nommerai pas, se sont mis en tête de contredire les prévisions météo du jour. Joel Collado ne l’avait pourtant pas prévu, mais un petit orage de grêle bien rafraichissant et très local vient de s’abattre sous le barnum. Il est près de minuit et les festivités touchent à leur fin – si l’on excepte la dégustation de quelques alcool régionaux, dont un succédané de rinçure de cognac qui, Pierre Dabreteau me pardonnera, n’eut jamais de Pineau que le nom… Il est temps d’aller se coucher. Demain, avis de vent frais et, à moins de tenter le record de vitesse paramoteur en moins d’une heure entre Boulogne et Bruxelles, il ne devrait pas y avoir grand monde en l’air.

En bref, c’était un bien beau rassemblement. Merci au Max, à toute l’équipe d’organisateurs et aux pilotes qui, d’une manière ou d’une autre ont contribué égayer la manifestation

 

Vincent (le Vicomte)

 

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